Les agriculteurs, créateurs de progrès – Tribune de Jean-Yves Dagès et Thierry Martel pour le Huffington Post

25 février 2015

#agricole

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A la veille de la conférence internationale sur le climat qui se tiendra à Paris en cette fin d'année, Jean Yves Dagès et Thierry Martel, respectivement Président et Directeur Général de Groupama, reviennent sur l'engagement responsable et les pratiques innovantes déployées par le monde agricole pour faire face au réchauffement climatique.

En prélude à l’ouverture du salon international de l’agriculture et dans la perspective de la conférence internationale des parties sur le climat qui se tiendra à Paris à la fin de cette année, les organisations agricoles et les pouvoirs publics organisent pour la première fois un forum international sur l’agriculture et le changement climatique. Après la conférence environnementale de fin novembre, les agriculteurs montrent ainsi leur engagement responsable dans la lutte contre le réchauffement climatique qui touchera l’agriculture au premier chef.

Face à ce défi mondial, l’agriculture se prépare de manière responsable en développant des pratiques innovantes visant à limiter ses rejets, en soutenant les moyens naturels permettant de capter le CO2, en développant des outils lui permettant d’être résiliente face aux événements climatiques. Les stratégies d’adaptation vont confronter les agriculteurs à des choix complexes qui mêleront des facteurs agronomiques, économiques, sociaux et organisationnels. C’est néanmoins une condition indispensable pour stabiliser leurs revenus et préserver une agriculture durable et performante au service des hommes.

Les assureurs agricoles et climatiques ont un rôle essentiel pour accompagner les exploitants dans ces mutations et pour les sécuriser.
Les services d’assurance et plus généralement les outils de gestion des risques sont ainsi appelés à se développer en Europe comme on le voit sur d’autres continents.
Les évolutions à venir de la politique agricole commune (PAC) seront déterminantes à cet égard et les organisations professionnelles et économiques agricoles comme les pouvoirs publics devront se mobiliser encore davantage. Les opérateurs français de l’assurance agricole seront au rendez-vous.

Cela suppose toutefois d’avoir présent à l’esprit plusieurs questions importantes.
D’abord, la gestion des périls climatiques s’inscrit dans le temps long et repose sur une mutualisation la plus large possible de l’ensemble des risques agricoles, qu’ils soient climatiques ou plus classiques (dommages aux biens, assurances de personnes). Or le nouveau cadre prudentiel européen Solvabilité 2 vient en contradiction totale avec cette gestion du temps long car il repose sur une vision comptable à un an qui pénalise fortement les activités comme l’assurance climatique alors que celle-ci exige de pouvoir provisionner les « bonnes années » pour compenser les « mauvaises ». Ce découpage annuel et purement théorique de l’activité des assureurs risque d’entraîner une hausse supplémentaire des tarifs pour les agriculteurs qu’on aurait pu éviter, alors que l’augmentation probable de la fréquence des accidents climatiques engendrera de toute façon une hausse des tarifs (ou une diminution des garanties). Certes, les entreprises mutualistes, qui portent aujourd’hui l’essentiel des risques agricoles, s’inscrivent naturellement dans le temps long, mais elles sont soumises aux mêmes règles prudentielles que les autres.

La nécessité de mutualiser sur la base la plus large en termes de risques, de cultures, de régions géographiques, pose la question de la couverture des prairies et donc des besoins en alimentation des troupeaux, les pertes de fourrages du fait d’aléas climatiques (principalement sécheresse) étant encore garanties par le fonds de gestion des risques en agriculture (FNGRA) géré par l’Etat. A la demande des organisations professionnelles et de l’Etat, les assureurs travaillent sur la mise au point d’une offre qui devra être testée et validée par les agriculteurs eux-mêmes. La viabilité d’une telle offre supposera cependant de pouvoir disposer d’un cadre stable, garanti et prévisible de réassurance.

Cela pose aussi la question du maintien dans le champ de l’assurance de risques stables permettant d’amortir les effets volatils et amples des risques climatiques. C’est le cas des assurances de personnes. Or, depuis une dizaine d’années, le législateur n’a cessé de transférer vers les régimes sociaux des risques de personnes (accidents du travail des exploitants, indemnités journalières maladie des exploitants et de leurs conjoints collaborateurs), privant ainsi les assureurs d’une activité essentielle pour équilibrer l’ensemble des risques agricoles. La conséquence de ces décisions est un renchérissement des assurances professionnelles, ce qui ne va pas dans le sens des intérêts des agriculteurs.

Les ambitions affichées en ce qui concerne la réduction des produits phyto-sanitaires posent à l’agriculture un défi de taille qu’elle parviendra à surmonter par l’innovation. Pour autant, il faut rejeter l’idée que la vulnérabilité accrue des plantes liée aux modes de production pourrait être compensée par l’assurance, car, à la différence des aléas climatiques, il ne s’agit pas là d’un risque aléatoire éligible à la mutualisation par l’assurance.

Enfin, l’analyse fine du risque sur laquelle se construit l’assurance permet de mener à la fois une démarche de prévention et une démarche de réparation. L’innovation, qui sera le thème du salon international de l’agriculture, jouera un rôle fondamental dans cette double dimension prévention-réparation. Les agriculteurs, qui conçoivent depuis plus d’un siècle des outils de gestion des risques répondant à leurs besoins, doivent s’approprier et développer les outils du XXIe siècle pour que l’agriculture puisse relever le double défi alimentaire et environnemental.

Les agriculteurs, créateurs de progrès : tribune parue sur le Huffington Post